La presse togolaise est à la croisée des chemins. Elle est confrontée à plusieurs défis et n’arrive pas à s’affirmer et faire face à ses besoins nonobstant son rôle important dans la société togolaise. Que faire pour remédier à cette situation et redorer le blason des médias togolais? El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO pense avoir des pistes de solution qu’il expose dans l’interview ci-dessous. La question de la mise en place d’une couverture santé pour les journalistes togolais et d’une mutuelle qui puisse voler à leur secours. Les négociations entamées par le Conseil national des patrons de presse (CONAPP) pour une augmentation substantielle de l’aide de l’Etat à la presse, le phonème très « dégradant » des »G » et comment le combattre, la question du rôle de la presse dans l’organisation d’une élection présidentielle apaisée au Togo… Toutes ces questions ont été abordées par le patron du CONAPP qui esquisse des pistes de solutions pour redonner à la presse, sa noblesse d’antan. Lisez plutôt.
Bonjour El-Hadj Arimiyao Tchagnao. Vous êtes le président du CONAPP, Conseil national des patrons de presse. Aujourd’hui, le monde des médias togolais plaide pour une augmentation substantielle de la subvention de l’Etat à la presse. M. le président, est-ce que ça promet, est-ce que la presse peut avoir gain de causse en 2020 ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Merci pour l’opportunité que vous m’offrez. La question de l’aide de l’Etat à la presse est une question qui était sur le tapis avant que nous soyons porté à la tête du Conseil national des patrons de presse. C’est une question qui a été longuement débattue et suscite beaucoup d’intérêt auprès de tous ceux qui ont été à la tête de l’organisation que nous présidons aujourd’hui.
En dehors du CONAPP, il y a beaucoup de personnes qui se sont intéressées à cette question et à comment faire pour que l’aide de l’Etat à la presse, qui a son histoire, puisse évoluer de 100 millions pour aller au-delà. Tout comme cela se fait dans beaucoup de pays de la sous-région.
Lorsque nous sommes arrivés à la tête du CONAPP en 2018, nous avons pris notre temps pour faire le tour d’horizon et nous avons pu remarquer que tout ce qui a été fait avant par nos prédécesseurs, n’avait pas pris en compte, les décideurs de la nation. Et lorsque nous avons pris connaissance de tous les contours du problème, nous avons choisi de prendre le taureau par les cornes. C’est-à-dire, de ne pas procéder par la violence verbale ou la dénonciation, mais d’aller là où les grandes décisions se prennent.
Avec un comité que nous avons mis en place au niveau du bureau du CONAPP, nous avons fait le tour de plusieurs personnalités de notre pays. Nous sommes d’abord allés à l’Assemblée nationale et sur autorisation de Mme la Présidente de l’Assemblée, nous avons échangé avec tous les présidents des groupes parlementaires à qui nous avons expliqué le rôle important que joue la presse dans notre pays.
En dehors de la TVT, Radio Lomé, Radio Kara et Togo presse qui sont des médias d’Etat, l’information est traitée sur le territoire national par des médias privés.
Nous avons également fait comprendre à nos interlocuteurs qu’il y a aujourd’hui, beaucoup de nos jeunes frères qui sont sortis des grandes écoles, qui sont nantis de diplômes professionnels. Ces jeunes, la fonction publique n’arrive pas à les employer et ils sont aujourd’hui sur notre dos.
Le gros du travail de l’information de terrain se fait aujourd’hui par nous du privé. C’est pour cela que nous avons plaidé auprès des différents présidents des groupes parlementaires, et auprès de la Présidente de l’Assemblée nationale. Nous voulons que tous comprennent que nous avons besoin du soutien de l’Etat. Que l’aide que nous souhaitons avoir puisse être conséquemment augmentée. Pourquoi pas de 100 millions à 500 millions ou au milliard pour que ceux qui auraient à bénéficier de cette aide aient quelque chose de consistant qui leur permette d’opérer la mutation qualitative souhaitée. Qu’ils passent de simples organes de presse à des entreprises de presse.
Aujourd’hui, nous ne sommes pas encore des entreprises de presse, nous ne sommes que des organes de presse. Et un organe de presse, comparé à une entreprise, le fossé est grand et profond.
Une fois que nous aurons une aide conséquente, nous nous obligerons à nous transformer en des entreprises de presse. Une entreprise de presse a un siège, elle a un secrétariat, un patron, des comptables, un service des ventes, un conseil d’administration… Est-ce qu’à partir de là, cette entreprise va créer de l’emploi réel ? Oui.
Nos employés crient tous le temps qu’il n’y a pas une Convention collective qui est signée. On ne signe pas une convention en l’air. Et Dieu merci, tous ceux à qui nous avons eu a expliquer le bien fondé de cette augmentation de l’enveloppe qui aujourd’hui est de 100 millions, vers une enveloppe plus consistante pourquoi pas à 1 milliard ou au moins à 500 millions ? Tous ceux-là, nous ont compris. Nous sommes allés discuter avec le ministre des Finances, qui fort heureusement nous a compris.
Nous avons été orientés vers le Directeur du budget avec qui nous avons échangé. Lui aussi nous a compris et ensemble, ils ont manifesté leur volonté de porter plus haut toutes les explications que nous avons eues à leur apporter. Ils nous ont promis que pour l’année budgétaire 2019-2020, quelque chose va être fait. En bref, nous sommes aujourd’hui rassurés qu’il y aura une augmentation plus conséquente de l’aide de l’Etat à la presse en 2020. Et cette augmentation ira en s’améliorant avec le temps.
Finalement peut-on dire que les efforts du CONAPP sont en train de payer ou le CONAPP est-il en train de réussir là où beaucoup ont échoué ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Je ne dirai pas que le CONAPP est en train de réussir là où beaucoup ont échoué. Ce n’était pas des échecs. Nous sommes venus pour tisser une nouvelle corde au bout des anciennes. C’est sur l’effort consenti par nos prédécesseurs, que nous sommes en train de travailler et de gagner ce pari. Ce pari ce n’est pas à l’actif de Tchagnao ou à l’actif du CONAPP. Mais c’est un pari gagné par l’ensemble de la presse. Oui bien sûr que le CONAPP est l’organisation de presse la plus importante et la plus ancrée sur toute l’étendue du territoire. Mais l’aide de l’Etat à la presse une fois revue à la hausse, ira à l’ensemble de la corporation.
Aujourd’hui, la presse togolaise est à la croisée des chemins. On parle des groupes organisés de jeunes raquetteurs comme le G20, qui vont d’avènement en événement et qui harcèlent les organisateurs pour leur arracher pour certains, 2000 Fcfa, pour d’autres 5000 Fcfa. Est-ce que vous ne croyez pas qu’au CONAAP il faut assainir tout cela et redonner à la presse une image plus reluisante ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Nous n’allons pas comparer le CONAPP à des ordres comme l’ordre des avocats au niveau du barreau ou l’ordre des pharmaciens etc. Ne crée pas un journal qui le veut. Et ne peut s’improviser journaliste, qui a rêvé la nuit avoir une plume ou un micro à la main.
C’est un processus sérieux qui aboutit à la création d’un organe de presse. Mais ceci étant dit, nous croyons qu’il faut faire quelque chose au Togo. Au niveau du CONAPP, nous nous sommes donné comme leitmotive de faire en sorte qu’on puisse fermer un tant soit peu le robinet.
Hier les journalistes togolais étaient comptés au bout des doigts de la main. Ils étaient en très petit nombre et étaient très qualifiés. Mais aujourd’hui, on a plus de 400 titres de journaux, avec une quarantaine qui est dans la régularité. Aujourd’hui, on a des centaines de sites en ligne et vous avez de petits garçons et de petites filles, qui se promènent de conférence de presse en conférence de presse pour dire aux organisateurs : « Nous sommes journalistes, donnez-nous de l’argent » même quand ils ne sont pas conviés.
Parlons du G20. Il faut que nous ayons le courage de mettre fin à ce phénomène qui ramène à plus de 50 ans en arrière, le travail abattu par le journaliste togolais.
Avez-vous des pistes de solutions pour pouvoir mettre fin à ce phénomène ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Il nous revient à nous tous de nous organiser. C’est parce que nous avons accepté que les structures et organisateurs d’événements nous traitent comme des moins que rien, que le G20 prospère.
Vous savez tous qu’au Togo, que ce soient les ministères, les sociétés d’Etat, le secteur privé dans son ensemble, les ONG, le système des Nations Unies ou toute autre structure, lorsque les gens organisent leurs activités, ils nous invitent mais ne nous payent pas nos prestations. Ils ne nous font pas faire des factures pour le travail abattu.
D’ailleurs c’est devenu une tradition qui dit que pour la presse togolaise, quand la conférence est sérieuse, il faut donner 10.000 Fcfa. Quand on veut, on peut donner 3000 Fcfa ou même 2000 Fcfa. Mais nous laissons nos rédacteurs aller suivre ces conférences de presse et revenir produire des articles que nous publions dans nos colonnes avec tout ce que cela nous coûte en frais de production.
Nous publions volontiers les activités du Système des Nations Unies, des entreprises d’Etat, des ONG ou mêmes des structures commerciales de la place, sans rien exiger, sans leur tendre des factures pour les prestations demandées. Nous leur faisons de la publicité gratuitement sans rien prendre en retour alors que nous galérons pour exister et faire notre travail. Quelle est la définition du mot travail ? C’est rendre un service et attendre en retour une rémunération, n’est-ce pas ? Pour la presse togolaise, ce n’est jamais le cas.
Mais ceci doit prendre fin. La solution que nous avons aujourd’hui en poche, c’est de faire payer dorénavant nos prestations afin de vivre de notre travail. Très prochainement, le CONAPP va sortir un communiqué pour annoncer des mesures destinées à assainir le milieu.
Nous sommes en train d’envisager la possibilité de faire en sorte qu’à partir du mois de janvier 2020, personne ne puisse inviter des journalistes pour une couverture médiatique sans avoir payé une facture au préalable. Personne ne pourra plus donc inviter des journalistes pour une couverture médiatique sans payer une facture pour le service rendu.
La presse a des impôts à payer, des frais fixes et variables à payer, et la Caisse national de sécurité sociale nous traquent. C’est parce que nous avons accepté que les gens donnent à nos rédacteurs 5000 Fcfa et ont droit à un article d’une page, ou à des temps d’antenne, qu’on pense que la presse togolaise coûte 5000 Fcfa. La presse togolaise ne coûte pas 5000 Fcfa, sa valeur dépasse de loin cela.
Lorsque le communiqué va sortir et que les gens vont s’aventurer encore à partager de l’argent sur des lieux de reportage, ce sera à leur risque et péril. On n’acceptera plus cela. Nous allons mettre en place une cellule de veille des médias pour que désormais sur les lieux de reportage, les gens ne puissent plus émarger et donner une image dégradée de la presse aux yeux des invités et du public. Le phénomène de liste d’émargement est finie.
Désormais lorsqu’on invite un organe de presse, le journaliste qui y va n’a pas besoin de laisser son nom sur une liste, ni de s’aligner pour retirer 2000 ou 5000 Fcfa. Nous allons dire à tous les acteurs que désormais, on n’a pas besoin de liste d’émargement sur les lieux de reportage ni dans un bureau. Nous savons comment cela se passe et nous allons publier bientôt la grille correspondant à chaque activité et à chaque forme de média afin que tous les acteurs s’y conforment à partir de janvier 2020.
Et ainsi, nous allons en finir avec cette question qui vilipende, qui insulte et qui met dans les caniveaux, l’honneur et l’image du journaliste togolais. C’est à nous de régler la question et à partir de 2020, ensemble avec toute la presse togolaise et les autres organisations, nous veillerons à ce qu’aucun journaliste ne puisse aller prendre 1F sur des lieux de reportage et qu’aucun acteur de ce pays, ne puisse faire émarger une fiche sur les lieux de reportage. Une cellule de veille jouera le rôle de gardien et traquera les contrevenants.
Tous les corps de métier vivent de leur travail et ont des grilles pour leur prestations, sauf les journalistes qui acceptent de travailler gratuitement et d’être traitée comme des mendiants. Il faut que ça prenne fin.
Vous parlez depuis un temps de couverture santé pour vos membres et de mutuelle. Où en est le CONAPP sur ce dossier ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Nous sommes actuellement à la phase de préparation des dossiers. Nous allons bientôt convier tous les confrères pour des échanges sur ces questions. Après ces échanges, nous allons procéder au lancement de la mutuelle de la presse. Un monde qui se veut sérieux, doit mettre en place tout ce qu’il lui faut pour pouvoir évoluer. On ne saurait croire à une presse responsable et épanouie au Togo sans une mutuelle efficace qui permette aux journalistes de faire des prêts, de régler leurs petits soucis de la vie ou de financer leurs projets.
C’est pour nous une honte que des confrères souffrants, doivent d’abord passer par des messages whatsapp et demander de l’aide pour pouvoir se soigner. Faisons en sorte d’être le véritable 4ème pouvoir.
Les élections présidentielles de 2020 sont à nos portes et nous savons le rôle ô combien important de la communication dans la réussite d’une élection. Que fait le CONAPP pour que les médias jouent efficacement leur rôle ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Vous connaissez bien notre pays comme d’ailleurs beaucoup d’autres pays africains. Lorsque les élections s’annoncent, cela a été toujours une source de tension. Lorsque nous faisons référence à ce qui s’est passé au Rwanda avec radio Mille Collines et aussi, lorsque nous faisons référence au rôle de la presse dans la crise ivoirienne, nous comprenons aisément que la presse togolaise doit travailler surtout quand on est en face d’une élection présidentielle aussi cruciale que celle de 2020.
Ce n’est plus à démontrer, la presse togolaise a depuis toujours fait le bon boulot. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre pays est à l’abri de l’implosion. Les élections présidentielles qui s’annoncent intéressent tout le monde, y compris nous les journalistes. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’une session de formation aura lieu avec notre partenaire privilégié, Reporter Sans Frontières à partir du 20 décembre prochain.
Reporter Sans Frontières viendra avec ses experts et formera l’ensemble des journalistes togolais sur la question de la couverture médiatique des élections.
Mais avant tout, nous avons l’obligation et le devoir de préserver notre pays contre tout risque de basculement et c’est pour cela qu’à chaque instant que nous avons l’occasion, nous interpellons les consciences des uns et des autres et appelons tous les confrères à plus de responsabilité pour préserver notre nation. Le Togo n’est pas la propriété des politiques. C’est ce que nous avons comme patrimoine commun, nous tous citoyens togolais et nous devons faire en sorte de le léguer aux générations futures et à venir.
Nous sommes donc engagés à travailler en sorte que le Togo ait des élections présidentielles apaisées et c’est cela qui est notre credo, c’est cela qui est notre leitmotiv et nous pensons qu’avec la hauteur et la maturité de l’ensemble de nos confrères, nous arriverons à faire en sorte que tout se passe en toute quiétude.
Chaque année, le CONAPP organise un grand événement qui est les Journées Portes Ouvertes de la Presse (JPO). Quelle ville du Togo accueillera cet événement cette année ?
El-Hadj Arimiyao TCHAGNAO : Après la ville de Sokodé l’année dernière, nous sommes toujours en train de monter vers le Nord avant de revenir vers Lomé. Il y a eu au moins quatre éditions qui se sont déroulées dans la région Maritime. L’année dernière nous étions dans la région Centrale et maintenant, nous sommes en train d’aller vers une édition exceptionnelle nous appelons : « Spéciales Journées Portes Ouvertes Savanes-Kara ». Autrement dit, les Journées Portes Ouvertes de la presse de cette année auront lieu à Kara mais ça va regrouper tous les journalistes de la région des Savanes et de tout le pays qui se réuniront à Kara.
Source : afreepress.info