Depuis quelques jours circule sur les réseaux sociaux, une lettre ouverte envoyée à Monsieur Mustapha MIDJIYAWA, ministre de la santé et de la protection sociale. Cette lettre ouverte, écrite par un médecin togolais sous le prête-nom de Dr Kofi Takali, a été publiée dans le journal L’ALTERNATIVE du 20 juin 2017. Dans cette lettre ouverte, le présumé Dr Kofi Takali est parti des cas de décès de deux professeurs, cadres du corps médical, pour déplorer la déliquescence des équipements dans les structures de santé et interpeller le ministre de la santé et de la protection sociale d’œuvrer à la construction d’un vrai hôpital pour sauver nos populations.
Loin de vouloir me substituer au ministre de la santé et de la protection sociale, je pense qu’il est aussi de mon devoir, en tant que citoyen togolais, de donner mon point de vue sur un sujet aussi délicat qui a fini par tomber dans le débat public.
Avant toute chose, je voudrais rendre un grand hommage aux deux imminents professeurs qui ont été rappelés à Dieu, et je présente mes sincères condoléances à leurs familles respectives ainsi qu’au corps médical. Puisse le Tout-puissant leur accorder sa miséricorde et les accueillir dans son Royaume Céleste.
Aussi, voudrais-je ici saluer l’initiative du présumé Dr Kofi Takali qui me donne l’occasion de donner mes impressions, et certainement à travers moi, les impressions de bon nombre de nos compatriotes obligés la plupart du temps à ruminer leur colère dans les quatre murs de leur maison, par faute de tribune pour se faire entendre.
Je salue aussi l’initiative du confrère Ferdinand Ayité de rendre public cette lettre ouverte qui nous donne l’occasion de faire valoir notre jugement sur la pratique médicale dans notre pays.
A défaut d’une connaissance formelle du Dr Kofi Takali du fait qu’aucun médecin togolais ne porte ce nom d’après mes recherches, le canal utilisé pour véhiculer son message permet d’imaginer facilement son vrai auteur, quand on s’en tient à l’adage qui dit que les oiseaux de même plumage volent ensemble.
Au risque d’interpeller une personne qui n’existe pas, ma réaction s’adresse principalement aux cadres du corps médical, puisque j’estime que c’est à ce cercle qu’appartiendrait Dr Kofi Takali.
D’abord dans la forme.
Chers professeurs, chers docteurs, je ne comprends pas que ce soit à la mort des deux médecins professeurs que vous trouvez nécessaire de monter au créneau pour dénoncer le manque d’équipements vitaux dans les hôpitaux. Ceci suppose que les nombreuses personnes qui, depuis toujours, passent de vie à trépas dans les mêmes circonstances que ces professeurs, n’ont aucune importance à vos yeux. Sans doute, ces personnes seraient pour vous, des anonymes dont la vie n’aurait pas le même prix que la votre. Elles peuvent donc mourir par votre négligence et incompétence sans que ça ne perturbe l’ordre normal des choses. Vous pensez souvent que vous êtes avec vos proches, les seuls qui méritent qu’on soit à leurs beaux soins. Ne voyez-vous pas que cela transparaît très clairement dans la lettre ouverte de votre confrère ? Il n’est préoccupé que par votre santé à vous, les médecins, et celle de vos familles. Quel égoïsme ! Cela n’est pas juste. Cela n’est pas étonnant non plus, quand on considère les récurrentes scènes d’indifférence que vous affichez tout comme vos assistants dans les centres de santé, devant les pleurs et cris de désolation de parents qui viennent de perdre un être cher. Vous ignorez royalement qu’une personne en vie représente toute une bénédiction pour la communauté humaine et que son décès crée un vide aux conséquences inimaginables. Dans votre orgueil de maître des lieux, vous pensez sûrement en votre for intérieur, que ça n’arrive qu’aux autres. Mais détrompez-vous ; vous êtes avant et après tout ce que le commun des hommes est. Humains, nous sommes tous mortels. Votre serment d’Hippocrate vous contraint à une certaine éthique qui sacralise la vie humaine. Si ce serment vous fait prendre des airs au lieu de vous amener à cultiver l’humilité, la charité et la serviabilité, sachez que vous atterrirez mais avec fracas.
Je suis tout aussi navré que vous alléguiez avoir donné deux années de répit au Ministre de la santé bien que vous sachiez que pendant ces deux années, il y avait urgence de faire de faire quelque chose pour sauver on ne sait combien de personnes, mortes selon vos insinuations par faute d’équipements et de moyens.
Ensuite sur le fond.
Concernant les supposés deux ans de répit que votre syndicat, le SYNPHOT, aurait donné au ministre de la santé et de la protection sociale, il me semble que vous êtes en train de vouloir faire entrer des erreurs dans les faits historiques. En moins que vous ne veuillez faire du SYNPHOT un instrument de chantage ou d’agitation sans motifs, je ne vois pas pourquoi vous pensez que ce syndicat devrait rentrer en agitation alors que les points essentiels de sa plateforme revendicative ont été satisfaits en 2011 et en 2013 et que des réflexions se poursuivent pour une amélioration progressive des conditions de vie et de travail du personnel soignant.
Au demeurant, dites-nous combien de fois le SYNPHOT est sorti pour réclamer l’amélioration du plateau technique, si ce n’est pour revendiquer les augmentations d’avantages certes légitimes, mais injustifiées au regard de la médiocrité des prestations que le personnel soignant continue d’entretenir dans les structures sanitaires publiques. Vous réclamez haut et fort l’intégration de vos proches que vous avez engagés à votre gré comme auxiliaires dans les hôpitaux et dont les prestations laissent à désirer ; et tout le monde sait que vous posez toujours vos revendications de façon à atteindre un point de non satisfaction, ceci uniquement dans le but de pourrir la vie aux politiques. Vous seuls connaissez bien vos ambitions…
Nombreux sont nos concitoyens qui s’étaient joints à vous, agents de la santé, lors des revendications pour l’amélioration de vos conditions de vie et de travail, en comptant que cette amélioration allait avoir des répercussions positives dans vos prestations de service au niveau des structures publiques d’accueil. Mais que n’a-t-on pas vu depuis la majoration de vos primes et la création d’allocations supplémentaires au personnel soignant ? Tout apparaît comme si cette satisfaction avait sonné le glas de la descente aux enfers des structures publiques. Car, c’était à partir de ce temps que se sont empirés et généralisés certains comportements répréhensibles qui ne s’observaient qu’au niveau de certains chefs notamment, l’absentéisme dans les structures publiques au profit des cliniques privées, les détournements de matériels et de médicaments mis à disposition, les détournements des médicaments des patients, la surfacturation des ordonnances médicales, l’incompétence professionnelle, la prolifération des réseaux mafieux de vente de faux médicaments, la commercialisation de matériels d’origine douteuse, le sabotage des équipements mis à disposition. Ceux-ci sont souvent volontairement mis hors d’usage pour pouvoir dévier les patients vers vos structures privées où vous leur soutirez beaucoup d’argent.
En tout état de cause, c’est tout simplement un aveu d’incompétence que de voir tomber en déliquescence des centres hospitaliers régionaux et préfectoraux officiés par des docteurs et professeurs, sans que ceux-ci ne mènent une réflexion pour proposer des pistes de solutions en vue de sauver ce qui peut l’être. Sous d’autres cieux, des responsables de votre rang social, pour des raisons de réputation, travailleraient en synergie avec le Gouvernement pour rehausser l’éclat des structures auxquelles leur nom est associé. Ici, sur la terre de nos aïeux, c’est tout le contraire que l’on voit.
Des professeurs qu’on nomme à des postes de responsabilité refusent de les assumer juste parce que leur accession à ces postes risque d’étaler leur incompétence et les exposer aux critiques de leurs administrés. Ils préfèrent faire profil bas pour figurer dans le camp de ceux qui critiquent sans jamais faire de propositions. C’est donc sans surprise que de vous voir vous acharner sur celui des vôtres qui a été nommé au ministère de la santé et de la protection civile pour redresser la barre. Vos actes de sabotage de ses initiatives dont le dernier en date est votre opposition à l’approche contractuelle pourtant bien indiquée pour redresser le secteur, témoignent de votre jalousie à l’endroit de ceux qui réussissent et prospèrent là où vous avez lamentablement échoué.
Et si vous ne prenez garde, l’échec risque d’être à tous vos rendez-vous puisque depuis vos bancs d’école, vous n’avez jamais eu la notion d’effort. Pensez-vous que c’est par mérite que vous portez les titres ronflants dont vous vous prévalez pour narguer vos semblables et leur réserver les traitements les plus inhumains qui soient ? Tout le monde sait le moule par lequel certains d’entre vous sont devenus médecins et vous avez tout intérêt à rester sur terre au risque de vous voir cracher au visage la vraie vérité sur votre parcours académique et professionnel. Pensez-vous que la médecine est de la menuiserie pour que ce ne soit que les enfants de médecins ou leurs protégés qui réussissent toujours à la faculté de médecine ? Vous arrive-t-il souvent de vous interroger sur le sort de ces étudiants méritants que vos parents ou protecteurs ont volontairement recalés à votre avantage, juste parce qu’ils ont eu la malchance d’être issus de familles sans grande influence ? Savez-vous combien de togolais anonymes ont eu leur vie brisée du fait de cette injustice ? Il est grand temps que vous teniez compte de toutes ces interrogations quand vous vient à l’esprit l’idée de médire ou de calomnier autrui.
A ce que l’on sache, des lignes budgétaires sont souvent affectées aux différentes structures étatiques sur la base des requêtes qu’elles envoient pour leur fonctionnement et la réhabilitation de certaines infrastructures et équipements. Et malgré cela, vous semblez donner l’impression d’un abandon total de votre secteur par l’Etat. Quels sont les efforts que vous avez pu réaliser avec le peu de financement que l’Etat met à votre disposition ? Dans les centres hospitaliers publics, les équipements des blocs opératoires déclarés en panne, ne font pas plus de deux jours après leur réparation. Une fois la pièce défaillante réparée ou remplacée, on la re-déclare en panne après seulement quelques jours de fonctionnement. Ce qui s’est passé ? C’est simplement que les techniciens l’ont subtilisée pour la remplacer par une ancienne pièce déjà usagée. La pièce subtilisée sera vendue à une clinique privée. Voilà pourquoi les laboratoires des cliniques privées fonctionnent généralement à plein temps alors que ceux des centres publics fonctionnent de façon saisonnière. Et pendant que les équipements sont mis volontairement en panne, ne pensez pas à retrouver les agents à leurs postes : ils ont rejoint leurs bureaux annexes dans les cliniques.
Voilà projetée, chers docteurs et professeurs de médecine, l’image que vous renvoyez aux togolais. Elle n’est pas virtuelle mais réelle et surtout vraie.
J’espère que votre confrère, le ministre de la santé et de la protection sociale prendra la mesure de votre incompétence et de votre capacité de nuisance pour savoir la vraie nature de ceux qui disent travailler avec lui. Vous conviendrez avec moi que le Gouvernement a tout intérêt à prendre les mesures idoines pour sortir les togolais de vos griffes. Peu importe si mesures doivent passer par la contractualisation ou par la privatisation. L’essentiel est de vous amener à cesser une fois pour toutes de prendre les togolais pour des cobayes. Cher Gouvernement, fais vite !
Evans SEGNATO