Togo-Petrolegate-Procès en appel : Retour sur la première victoire des mis en cause…

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L’affaire dite de « Petrolegate » dans laquelle, le directeur administratif du Comité de Suivi des Fluctuations des Prix des Produits Pétroliers(CSFPPP) au Togo, Fabrice Adjakly a été accusé par le bi-hebdomadaire L’Alternative, de détournement d’environ 500 milliards de FCFA sur le dos du pauvre contribuable togolais, en connivence avec le gouvernement, continue de passionner le débat au sein de l’opinion.

Le dernier report dans l’appel formulé par le Conseil du confrère Ferdinand Ayité, qui visiblement n’était pas satisfait de la décision en première instance, n’est pas passé inaperçu. Et ils sont nombreux, ces togolais qui attendent de voir ce qu’il en sera exactement. La Cour va-t-elle confirmer la condamnation prononcée en première instance ou décidera autrement ? C’est la question que bon nombre de togolais et observateurs se posent à l’heure actuelle.

En effet, fixé pour le 14 Octobre dernier, le délibéré du procès en appel formulé par Ferdinand et ses avocats n’a pu tenir. Il a été reporté sur le 09 décembre 2021.Et pour cause, les prévenus ont soulevé une objection en laissant entendre qu’ils avaient introduit une requête rectificative. Ce qui, en droit, annule la requête d’appel originelle. Aussi, du côté du Procureur Général, Gbadoé Edoh Dodji, il est constaté l’absence de ces deux documents dans le dossier. La non existence donc de la requête d’appel originelle et de celle rectificative dans le dossier transmis au Procureur, a amené donc le Président de l’audience, Etsè Komi, à renvoyer le délibéré au 09 décembre 2021, le temps de permettre au parquet général de prendre connaissance desdits documents.

Mais il faut dire que les Togolais et tous ceux qui suivent le dossier de près sont fatigués d’attendre. Tous veulent voir la vérité jaillir comme ce qui s’est passé en première instance. D’ailleurs, le conseil des mis en cause y voit dans ces reports interminables, « des faux fuyants » de la part des prévenus pour, selon lui, retarder le délibéré.

Condamnation en première instance

« Statuant publiquement, contradictoirement en matière correctionnelle et en premier ressort, rejette l’exception préjudiciable invoquée par les prévenus. Sur l’action publique, déclare les prévenus coupables des faits de diffamation et de publication d’allégation ou d’imputation qualifiée de diffamation à eux respectivement : Ferdinand AYITE à 2. 000.000 FCFA d’amende, Journal « L’ALTERNATIVE », à 2. 000. 000 FCFA d’amende ; fixe au maximum la durée de la contrainte par corps ; Sur l’action civile, en la forme, de Monsieur Fabrice Affatsawo ADJAKLY, régulière ; Au fond, condamne solidairement Monsieur Ferdinand AYITE et le journal « L’ALTERNATIVE »;….. ». C’est au total six millions (6 000 000) FCFA que les prévenus sont astreints à verser à la famille Adjakly en guise de dommages et intérêts, pour n’avoir pas apporté les preuves de leurs allégations jugées diffamatoires. « Sur la condamnation aux dommages- intérêts : Attendu que la partie civile a dû subir une souffrance morale du fait des prévenus ; qu’il a dû souffrir du fait que par l’article des prévenus, il est présenté aux yeux de l’opinion publique comme un détourneur de deniers publics, un membre d’une grande mafia alors qu’aucune procédure judiciaire ayant abouti à une décision définitive n’a reconnu comme tel Monsieur Fabrice ADJAKLY qui doit normalement bénéficier de la présomption d’innocence, une norme constitutionnelle que ce préjudice étant certain et caractérisé, il convient de condamner leur auteur à sa réparation avec la juste et raisonnable somme de 2.000.000 FCFA ;
Sur la publication de la présente décision : Attendu que la légèreté blâmable avec laquelle les prévenus ont accusé Ia partie civile des faits dénués de tout fondement a porté atteinte à son honneur et à sa dignité ; que ce phénomène consistant à porter des propos diffamatoires par voie de presse à l’encontre des citoyens est pourtant interdit par les lois de la République ; qu’il suit que Ia publication de la présente décision n’est pas inopportune en ce qu’elle permettra de rétablir la partie civile dans son honneur et sa réputation à l’égard des tiers qui en prendront connaissance et surtout pour informer les lecteurs sur le caractère mensonger de l’article incriminé ; qu’il échet de faire droit à la mesure sollicitée en ordonnant la publication de l’intégralité du présent jugement sur le site du journal ainsi que dans l’édition papier du journal dans les mêmes conditions de publication que celles des allégations et imputations incriminées et ce sous astreintes ;
PAR CES MOTIFS, Statuant publiquement, contradictoirement en matière correctionnelle et en premier ressort ; Rejette l’exception préjudicielle invoquée par les prévenus ; Sur I ‘action publique Déclare les prévenus coupables des faits de diffamation et de publication d’allégation ou d’imputation qualifiée de diffamation à eux respectivement reprochés ; En répression et vu les dispositions des articles 160 alinéa2 et 163 du code de la presse et de la communication, les condamne :
. Ferdinand AYITE à 2.000.000 FCFA d’amende,
. Journal « L’ALTERNATIVE » à 2.000.000 FCFA d’amende;
. Fixe au maximum-la durée de la contrainte par corps ;
Sur l’action civile, en la forme, reçoit la constitution de partie civile de Monsieur Fabrice Affatsawo ADJAKLY, régulière ;
Au fond : Condamne solidairement Monsieur Ferdinand AYITE et le journal « L’ALTERNATIVE » à payer à la partie civile la somme de 2.000.000 FCFA au titre de son préjudice moral subi ;
Ordonne aux prévenus la publication de I ‘intégralité du présent jugement sur le site internet du journal « L’ALTERNATIVE » pendant 15 jours, sous astreintes de 20.000 FCFA par jour de retard ;
Ordonne également au journal bihebdomadaire L’ALTERNATIVE Ia publication de l’intégralité du jugement dans son édition papier dans les mêmes conditions de publication que celles des allégations et imputations incriminées, notamment à y consacrer 50% de la couverture du journal et ce, sous astreintes de 100.000 FCFA par quinzaine de retard ;
Condamne les prévenus aux entiers dépens ; …
». Tel est l’essentiel de la décision du 04 novembre 2020, prise à la première chambre correctionnelle de Lomé, ce après un exposé de motifs basé sur plusieurs argumentations.

« Sur I ‘action publique ; Attendu qu’il est reproché au prévenu Ferdinand AYITE les faits de diffamation et au journal L’ALTERNATIVE les faits de publication d’allégation ou d’imputation qualifiée de diffamation; Attendu que Monsieur Ferdinand AYITE ne reconnait pas les faits mis à leur charge ; que pour sa défense, il déclare détenir les preuves des faits de détournement imputés à la partie civile mais n’entend pas les produire en la présente cause au risque de dévoiler ses sources ; qu’en outre, il développe que si le Tribunal veut avoir lesdites preuves, il lui est loisible d’ordonner en avant-dire-droit une audition de certaines personnes nommées, soit de renvoyer la présente cause devant le juge d’instruction devant lequel le secret de l’instruction permet la production des preuves, ou soit ordonner la comparution personnelle de Monsieur Fabrice ADJAKLY à qui il appartient de prouver que les faits allégués dans l’article ne sont pas avérés ; Attendu qu’une telle démarche de la part des prévenus est équipollente en droit à un renversement de la charge de la preuve et amène à dire qu’ils font une litière aux règles de la déontologie en matière de presse, aux éléments constitutifs de l’infraction de diffamation, à la doctrine et à la jurisprudence abondante en la matière; qu’un simple questionnement vient à l’esprit notamment de savoir si par exemple des procédures postérieures à sa publication ne sont pas entreprises, le prévenu va se retourner vers quoi pour prouver les faits allégués, de savoir si c’est au plaignant de lui apporter les preuves, de savoir s’il est permis dans un Etat de droit, d’imputer de faits à un citoyen quitte à lui d’en rapporter la preuve contraire s’il se sent diffamé et plus concrètement à qui incombe la charge de la preuve en matière de diffamation ; qu’il est digne d’intérêt de rappeler à l’égard des prévenus que ce n’est pas l’affaire de détournement qui est jugé par ce siège mais I ‘affaire de diffamation dont la partie civile s’estime être victime ; qu’or à travers les demandes telles que formulées par ceux-ci, il s’en infère qu’ils font un amalgame terrible entre ces deux affaires ; Attendu qu’en matière de diffamation comme délit de presse, la charge de la preuve des faits imputés incombe à l’auteur de l’article incriminé, à savoir le journaliste assujetti aux règles de sa déontologie ; qu’en effet, une lecture de l’article 32 du code de la presse et de la communication renseigne que I’exercice de la profession de journaliste est soumis au respect du code d’éthique et de déontologie de la presse et des lois et règlements en vigueur et qu’en sus, le même article 32 édictant les règles de la déontologie libelle que « le journaliste assume la responsabilité de tous ses écrits. Il publie uniquement les informations dont la source, la véracité et l’exactitude sont établies. Le moindre doute l’oblige à s’abstenir ou à émettre des réserves selon les formes professionnelles requises… » ; qu’il est bien lisible à quiconque qu’au moment de la publication, la véracité et l’exactitude de son écrit doivent être établies et non publier l’écrit et en cas d’incrimination contre l’article, rechercher l’exactitude et la véracité des faits publiés dans les démarches postérieures entreprises par de tierces personnes; que mieux, I ‘article 35 alinéa 2 du même code dispose que les accusations sans preuves sont des fautes professionnelles graves et constituent des pratiques contraires à la déontologie du journalisme; que justement, ce sont les preuves des faits de détournement imputés à Monsieur Fabrice ADJAKLY, notamment le mécanisme opaque mis en œuvre ,en marge des procédures usuelles du CSFPPP, la démarche comptable d’évaluation ayant abouti à la somme comprise entre 400 et 500 milliards de FCFA détournée, le titre de propriété du ranch acquis par Monsieur Fabrice ADJAKLY en Afrique du sud et autres qui sont demandés aux prévenus ; qu’une telle demande qui a le mérite de faire entrevoir l’exactitude et la véracité des faits allégués dans l’article, ne se confond aucunement à une demande tendant à ce que le prévenu dévoile ses sources ; que ces genres de preuves sollicités ne peuvent non plus se confondre aux sources ; qu’ainsi, s’obstinant délibérément à ne pas produire ces preuves et voulant s’abriter derrière des procédures postérieures à sa publication pour faire ressortir les preuves, il s’infère que Monsieur Ferdinand AYITE a fait des accusations sans preuves, c’est-à-dire sans fondement comme le clame la partie civile ; Qu’en outre, cherchant toujours à faire croire que sa publication revêt les caractères de véracité et d’exactitude, le journaliste évoque le rapport d’audit de l’Inspection Générale des Finances établi des mois après sa publication et qui aurait recommandé la révocation de certains membres du CSFPPP dont la partie civile et leur mise à disposition de la justice; que comme abondamment démontré supra, le code de déontologie n’admet pas des preuves postérieures mais des preuves avant publication ; que tout comme la loi, la jurisprudence est constante et abondante dans ce sens ; Que si la jurisprudence est arrivée à consacrer la règle selon laquelle les articles de presse n’ont « aucune valeur probante » et ne suffisent pas à démontrer une enquête sérieuse et suffisante, il s’en induit que pour consolider un article de presse, il doit exister des preuves résultant d’une enquête ; que ceci étant, tout journaliste, respectueux des institutions de son pays, doit pouvoir produire les preuves de son article quand il est sollicité dans ce sens surtout par-devant une juridiction ; Qu’en matière de diffamation, comme délit de presse, c’est au prévenu seul qu’incombe la preuve de ses propos sans que les juges aient le pouvoir de provoquer, compléter ou parfaire l’établissement de celle-ci (Crimm. 28 février 2012. Pourvoi N’ 08-83 .926); que donc, il n’appartient ni aux tiers, ni à la partie civile et encore moins au juge de démontrer sa bonne foi, autrement dit la véracité et l’exactitude de ses propos ; que toujours selon la jurisprudence, « il incombe à l’auteur des propos de disposer, au moment de leur formulation, des éléments propres à établir sa bonne foi (Cass. crimm du 05 septembre 2006. pourvoi N »05-86.567) »; que dès lors, les pièces qu’il doit verser aux débats pour justifier de son enquête doivent être nécessairement antérieures à la publication incriminée ; que pour autant, selon la doctrine, les pièces ou sources postérieures à la publication de l’article ne seront pas nécessairement inutiles, car elles pourront être prises en considération, au titre du préjudice allégué par la victime, puisqu’on évalue traditionnellement le préjudice au jour où le juge statue, mais des preuves ou sources postérieures à la publication (comme les prévenus veulent le faire à travers toutes leurs demandes) ne pourront pas être valablement invoquées pour démontrer le caractère sérieux de l’enquête réalisée car ce serait admettre un moyen de défense parfaitement artificiel ; qu’ainsi, la jurisprudence et la doctrine s’accordent pour dire que Ia bonne foi du prévenu à déduire de la véracité ou de l’exactitude de son article, ne peut émaner des faits postérieures à la diffusion des propos litigieux ; Attendu qu’en définitive, les accusations portées contre la partie civile ne reposant sur aucune preuve rapportée en la présente sont indubitablement de nature à porter atteinte à la réputation et à la considération de celle-ci ; qu’or, Ie journaliste dans l’exercice de sa profession, est tenu au respect des règles de la déontologie du journalisme et doit à cet effet , éviter toute allégation ou imputation d’un fait dont si la preuve n’est pas rapportée, constitue une allégation mensongère; qu’en présentant la partie civile comme un détourneur de fonds publics sans rapporter la moindre preuve de son allégation, étant entendu que ni les procédures, ni les investigations en cours ne constituent les preuves de I’accusation discutée, Monsieur Ferdinand AYITE a diffamé la partie civile qui a un honneur et une réputation à défendre ; que les faits de diffamation reprochés au prévenu et défini par l’article 160 alinéa 1″‘ du code de la presse et de la communication sont ainsi constitués à son égard; qu’il échet de le déclarer coupable desdits faits et de lui faire application des dispositions de l’articles 163 du même code ; que quant au journal L’ALTERNATIVE, il ne fait l’ombre d’aucun doute que la publication de cette allégation qualifiée de diffamation le fait tomber sous le couperet du second alinéa de l’article 160 dudit code qui prévoit que « Ia publication directe, la diffusion ou la reproduction d’une allégation ou imputation qualifiée de diffamation, est punie d’une amende d’un million (1.000.000) à trois millions (3’000.000) de francs CFA; qu’il y a lieu de le déclarer coupable des faits à lui reprochés et d’entrer en condamnation contre lui ;…. ». Voilà entre autres exposés de motifs sur la base desquels le juge Gnon a prononcé la sentence en concluant à une diffamation.

Chacun sait combien ça fait mal de voir son image être entamée, surtout lorsque cela est fait à tort et sur des faits qui semblent être loin de la réalité. La seule manière pour ceux ou celles qui sont victimes de ces agissements, c’est de chercher à ce que la vérité soit dite. D’où la démarche des mis cause qui ont toujours clamé qu’il n’en est rien de ce qui est écrit dans les médias. A travers leur Conseil, Me Eric Sossah, ils estiment que cette affaire de détournement de 500 milliards dont a fait cas le confrère Alternative, dans son journal, est « cousu de fil blanc ». Et dans la logique de refuser que leur honneur soit trainé dans la boue, ils ont décidé de porter plainte. La seule manière de prouver leur innocence et de permettre à l’opinion de savoir la vérité. Et c’est chose faite, lorsque le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé a estimé en novembre 2020 que le média objet des publications diffamatoires, avait relaté des faits sans preuves. D’où la condamnation du bi-hebdomadaire et son directeur de publication après le délibéré que nous reprenons ici pour nos lecteurs et tous ceux qui sont intéressés et qui ne cessent de nous joindre pour cela.

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur ce qui pourrait se passer le 09 décembre prochain. A ce sujet, malin celui qui saura le dire. Mais, il est opportun de revenir sur la position de certains membres du gouvernement, aux premières heures de ce dossier.

« Il n’y a rien de plus faux », déclarait le ministre Gilbert Bawara, sur les faits relatés dans le canard et qui accusaient les mis en cause de détournement de fonds en complicité avec le gouvernement. Le Ministre Trimua, l’un des porte-paroles du gouvernement, lui aussi faisait savoir qu’à l’étape où le rapport d’audit avait été rendu public, le gouvernement ne tiendra pas compte des conclusions. M. Trimua estimait que l’audit qui avait été réalisé en lieu et place du rapprochement des données, n’était pas fiable, car n’ayant pas respecté les règles en la matière.

En tout état de cause, les togolais et les observateurs croisent les doigts et attendent impatiemment le 09 décembre prochain pour la confirmation ou non de la condamnation.

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